SYNOPSIS
ATELIER VARAN, Session 5 – septembre 2020
Adriana Rojas
Ce projet documentaire parle de la maison des sœurs Suaza, Cris et Main, que j’ai connues dans les années 90 à Bogota, en Colombie. Au premier abord, autant l’une que l’autre, elles ont une allure de dames assez conventionnelles dans leur habillement et très gentilles comme la plupart des gens originaires de Medellín. En réalité elles n’ont rien de conventionnel !
Nées à Medellin, âgées aujourd’hui de 75 et 73 ans, Cris (Maria Cristina) et Main (Luz Marina), les fondatrices de la casa, vont émigrer à Bogotá dans les années 70 lorsqu’elles ont une vingtaine d’années et vont y rester. Portées par leur rêve initial de communauté, en résonance avec le mouvement hippie des années 60, leur maison devient en 40 ans un point d’ancrage, de passage, de construction de projets artistiques, intellectuels et sociaux, pour beaucoup de personnes.
Passionnées de livres, de football, de musique, de transmission intergénérationnelle, Cris et Main ont construit et sont restées fidèles à une idée de communauté solidaire et créative. Universitaires de gauche dans les années 60 à Medellín, elles ont poursuivi des chemins de vie entrelacés et singuliers à la fois : Cris découvre le féminisme à Paris, puis retourne en Colombie pour en inventer le sien : généreux, voluptueux, ouvert aux hommes, prenant soin des enfants des autres et de la nature. Main, anthropologue de formation, passionnée d’éducation, plonge dans le féminisme en lien avec son engagement politique et son rapport à l’écriture et à la création.
En 1998 je suis venue m’installer en France. Je retourne en Colombie tous les deux ou trois ans pour visiter ma famille et mes ami.es. Le temps et la distance géographique modifient année après année la vision qu’on emporte avec soi au moment du départ. Mon intérêt pour la vie politique de la Colombie s’est renforcé avec la distance, en partie grâce à la communication que j’entretiens avec les Suaza. Elles ont une passion obsessionnelle pour tout ce qui se passe dans le pays.
La force de mon attachement aux sœurs Suaza tient à leur croyance dans une idée de communauté capable de résister à la charge d’une société injuste et violente, là où le désir de liberté s’est mué pour beaucoup en conformisme et en individualisme. Leur position politique et la recherche spirituelle dénotent des positions angélistes ou cyniques. Dans la maison on voit les vestiges d’un passé qui se donne au présent, qui s’adapte, qui reste solidaire et aimant vis à vis des autres.
Pour moi qui pourrais presque être leur fille, c’est une force qui m’accompagne et contribue à me donner une direction dans mon existence.
Aujourd’hui, quatre femmes y habitent de manière permanente : Cris, Main, Teo (Dora Lucia) la compagne de Cris, et Miriam, ancienne compagne de Main, devenue membre de la famille. Et Lupe, la chienne adoptée.
D’autres personnes viennent de manière presque quotidienne ou très régulièrement : Claudia B, l’amoureuse de Miriam, Nora et Estela, les femmes de ménage ; Claudia M, la masseuse ; Arnulfo, l’homme qui répare, installe, bricole. Chaque personne a une histoire avec la Casa, et le passage de tout ce monde engendre un mouvement dans lequel je me retrouve, hors image, mais emportée par l’énergie que cet espace contient, qui vit en moi.
Le récit traduit le processus du mouvement dans le réel mais également du vécu intérieur de ces femmes ; il est composé des actualités de la vie de chacune, et du contraste des éléments du hors champ, mais également au travers des écrits et de la musique qu’elles écoutent, ou le silence.
Ce film veut rendre compte de la richesse de cet univers, comme un acte d’amour envers la Casa y su combo.